Ajouté le 8 sept. 2003
J’ai rencontré Guy un jour d’automne sous une pluie torrentielle. On aurait dit que la montagne et le ciel ne faisaient plus qu’un. Il marchait derrière moi et nos pas étaient cadencés par la pente et les mots qui s’égrenaient. Je ne le voyais pas. Nous parlions un peu de tout et nous avancions en file indienne dans le chemin étroit. Il m’a dit qu’il était peintre. Je savais beaucoup de la peinture, j’avais parcouru les musées depuis mon enfance, je vivais au milieu de tableaux mais je ne savais rien finalement. J’ai voulu voir et je me souviens de la main de Guy me tendant à la sauvette une carte de visite amollie par la pluie. Je me souviens de ce jour. Des feuilles rouillées rutilantes sous les gouttes de pluie. De l’odeur de l’automne. De la Chartreuse qui flambe, rousse et verte, striée de branches.
Choisir. Il y a des choix sans concession. Passer à côté veut dire qu’on ne retrouvera jamais ce que l’on n’a pas voulu saisir. Choisir l’amour, la peinture : tourner le dos au passé ; renoncer à tout ce qui ne pense pas à la toile qui va ou pourrait se faire. Accepter de passer après tout cela.
Sans détours .Guy est impossible. Il agit comme il peint. Sans détours ou faux-semblants. Peu lui importe que l’on soit séduit. La trace traverse et transperce le tableau sans hésiter.
Guy, tu es impossible pour ceux qui louvoient et tempèrent, pour ceux qui aiment la mesure et le compromis. Ceux là nous ne les voyons qu’une fois.
Jour après jour. L’abstraction est à l’inverse de ce que l’on croit : elle n’est ni hasardeuse, ni dilettante.
Comment est-ce fait ? Quel outil employez-vous ? Combien de temps vous faut-il ? Il a fallu toute une vie. Il faut trente ans de travail jour après- jour. Il faut l’obstination inimaginable du geste qui chaque jour s’affine avant de trouver la perfection : celle de ces toiles qui semblent une évidence. L’évidence est à l’opposé de la facilité.
L’œil. Le crayon à la main, il lève les yeux et son regard n’est plus le même. Ses pupilles deviennent aiguës comme une pierre tranchante. Il scrute et transperce puis sans bouger son regard va de la feuille à moi à une vitesse à la fois impossible et d’une précision absolue. Etrange impression d’être à la fois absente et bien plus présente qu’à n’importe quelle autre personne.
Les mains. Il cherche à les frotter, il gratte et s’acharne mais les traces résistent. Rouge, jaune, bleu. L’essence a marqué les mains du peintre. Tes mains te trahiront toujours. Tu ne peux plus cacher ce que tu es, Guy.
Pauline Baltazar, Agrégé de Lettres Modernes.